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De l’hyper contrôle au burn out: les conséquences insidieuses des abus sexuels sur la vie professionnelle

de l'hypercontrole au burn-out

Une femme sur cinq* déclare avoir déjà subi des violences sexuelles. Parmi les centaines de femmes que j’ai accompagnées dans leur développement professionnel, près d’une sur quatre m’a fait part d’une agression sexuelle ou d’un viol subi, le plus souvent, dans l’enfance ou l’adolescence. Au cours de leur carrière, ces femmes se retrouvent freinées dans leur progression par des mécanismes liés à cette expérience traumatique. Comment ces femmes peuvent-elles libérer leur potentiel professionnel et retrouver le chemin de la réussite ?

Pour vivre heureuse, vivons cachée

Les femmes qui ont été victimes de violences sexuelles ressentent une dissonance entre la personne qu’elles donnent à voir aux autres (fiable) et la personne qu’elles pensent être (défaillante pour s’être trouvée dans une situation où elles ont été abusées). Le fait qu’elles étaient le plus souvent enfant ou très jeune au moment des agressions ne change rien à l’affaire.

Courageuses, elles s’engagent sans réserve dans leur vie professionnelle en faisant fi du trauma qu’elles occultent ou qu’elles vivent dans une grande solitude. Pourtant c’est souvent cette violence subie qui leur coupe les ailes à un moment clé de leur carrière.

Des freins insidieux et invisibles

Il s’agit rarement de déroute spectaculaire. Il s’agit de freins insidieux et invisibles, d’assauts psychosomatiques, d’une petite voix intérieure qui coupe l’élan, d’une ombre invisible qui ternit l’éclat, alors que la pensée est claire. Les femmes, si elles n’ont pas élaboré les agressions qu’elles ont subies, nourrissent cette croyance souvent inconsciente qu’elles ne méritent pas et qu’il serait dangereux de passer au premier plan car elles cachent une faille secrète. Si celle-ci était connue, elle susciterait immanquablement le blâme, le dégoût et la déception.

Leur esprit oscille donc en permanence entre un engagement total dans le travail, porté par la volonté d’acier, et la petite voix insidieuse qui saborde leur progression. Cette lutte intérieure permanente consomme une énergie infinie et génère découragement et épuisement. Pas le temps ni d’énergie pour lever le nez. L’habitude d’être dans le tunnel rend irréelle l’idée que la lumière existe et qu’il est possible d’en sortir. Quelles que soient les conditions de vie – qui peuvent être confortables- ce tunnel est leur paysage intérieur, meublé d’activités désincarnées, avec une organisation bien orchestrée ou totalement désorganisée pour garde fous : dans un cas comme dans l’autre, toutes les pensées sont absorbées par la mise en place et le respect de l’organisation ou au contraire la récupération au coup par coup des aléas de la non-organisation. Cela permet d’éviter d’être en connexion avec ses émotions douloureuses.

2 faux amis : les mécanismes de protection

Chaque femme est différente et les mécanismes de protection mis en place varient en fonction de chaque personne. J’en décrirai deux très récurrents.

De l’hyper contrôle à l’épuisement chronique

L’hyper contrôle est une stratégie qui revient souvent : tout événement non-anticipé ou ambigü étant associé à un danger, il ne faut laisser aucune place à l’imprévu. Cette stratégie est particulièrement asphyxiante car l’hyper contrôle n’amène jamais au sentiment de sécurité qu’il poursuit et se décline sur des terrains toujours plus nombreux, à un niveau toujours plus élevé de détails. L’hyper contrôle est à lui seul une cause majeure de burn out.

Le burn out ou la mise en danger délibérée

Si le burn out a toujours de multiples causes, un passé d’agression sexuel est clairement un facteur de risque.

Pour comprendre comment une femme en vient à se mettre en danger délibérément, il faut se rappeler quelques éléments physiologiques liés au traumatisme. Lorsqu’une personne est agressée, elle passe par une première phase de sidération : la victime est paralysée par une décharge fulgurante d’adrénaline et de cortisol. Vient ensuite la phase de ‘dissociation’ : pour ressentir le moins possible la souffrance, le cerveau sécrète de la morphine et de la kétamine-like, qui engendre l’impression d’être ‘hors de soi’.

Je me suis rendu compte que, certaines victimes de violence sexuelle, déplaçaient la scène du viol dans la sphère professionnelle pour la ‘rejouer’ sur un terrain non sexuel. En fait, elles s’épuisent plus ou moins consciemment pour entrer dans cette phase de sidération, où elles ne sont plus actrices de leur vie. Elles entrent dans un état de ‘tétanisation’, qui leur ôte toute faculté de développer une stratégie pour ‘s’en sortir’, exactement comme lorsqu’elles ont été agressées. Vient ensuite la phase de dissociation : elles ont l’impression d’être ‘hors de leur corps’ : il leur envoie de multiples signaux d’alarme. Elles ressentent sans les écouter des douleurs souvent très aigües.

Comprendre le mécanisme de défense

On le sait : en psychologie, lorsqu’un problème reste irrésolu, la personne qui le vit a tendance à reproduire les schémas de l’histoire qui l’emprisonne, jusqu’à pouvoir lui donner une autre issue.

C’est ce même mécanisme qui est à l’œuvre : certaines victimes de viol déclenchent les mêmes afflux d’hormones que lors de leur agression, dans l’espoir que quelqu’un vienne les sauver pour donner une autre fin à leurs souffrances psychique et physique insupportables. Lorsqu’elles arrivent au pénible constat qu’il n’y a pas de sauveur qui va pouvoir leur donner la rédemption qu’elles attendent, elles retournent la violence contre elles-mêmes. Cela peut mener à des actes d’auto-mutilations délibérés, présentés à l’entourage comme des accidents domestiques fortuits.

Le stade ultime de cette escalade est l’abattement : la scène traumatique a été ‘rejouée’ dans l’espoir d’y inscrire une fin rédemptrice ; elle a en fait abouti à la répétition de la violence et au désespoir.

Dépasser l’agression sexuelle et prendre son envol professionnel

Selon mes observations, moins les violences subies ont été élaborées lors de prise en charge thérapeutique, plus elles ont des conséquences sur le développement professionnel (en plus des répercussions sur la vie privée). Pour pouvoir renouer avec l’épanouissement en dépassant ses démons intimes et ses peurs, il est indispensable de passer par un travail thérapeutique, pour revisiter la scène traumatique, nommer les événements, mettre des mots sur les émotions et rétablir les responsabilités.

L’agression sexuelle est une pulsion de toute puissance

‘Tout a à voir avec le sexe sauf le sexe. Le sexe est une question de pouvoir.’ disait Oscar Wild. L’agression sexuelle n’est jamais le résultat d’une pulsion sexuelle irrépressible. C’est une pulsion de domination et de destruction. C’est le triomphe sur l’autre, disent les psychanalystes. L’agressé n’est en aucun cas une victime, qui a malencontreusement éveillé l’intérêt lubrique d’un homme viril. L’agressé est la cible d’un prédateur qui veut la détruire en imprimant sur elle le sceau de la toute puissance. C’est l’agresseur qui porte la totale responsabilité des actes criminels qu’il commet.

Emotions, réactions et neuroscience

Les neurosciences ont permis de documenter le fonctionnement du cerveau et de la mémoire pendant un événement traumatique. Lorsque le système d’alarme du cerveau retentit, les lobes frontaux du cerveau ne sont plus irrigués par le flux sanguin. C’est la partie la plus sophistiquée du cerveau, qui permet d’être logique, organiser la mémoire, définir ses priorités, poser un jugement, élaborer des stratégies et des solutions. Lors d’une agression, la partie rationnelle du cerveau est donc Hors Service. La victime n’est pas en capacité de raisonner et souvent incapable de crier car ce défaut de flux sanguin atteint également souvent la ‘zone de Broca’ qui est le centre du langage.

Le fonctionnement de la mémoire est lui aussi altéré 

Le fonctionnement de la mémoire est lui aussi altéré : c’est la mémoire des sens qui prend le pouvoir et les lobes frontaux ne peuvent pas organiser les différents éléments mis en mémoire pour les organiser de manière linéaire. C’est la raison pour laquelle la mémoire des faits traumatiques revient par flashs incohérents. Les victimes des agressions essaient souvent, a posteriori, de donner du sens aux bribes de souvenirs et ‘remplir’ les blancs en utilisant la logique, à défaut de mémoire. (NB : C’est la raison pour laquelle leur récit peut varier si elles le répètent plusieurs fois, ce qui peut les desservir devant la police/les tribunaux si les policiers/juges ne sont pas formés).

Mettre des mots sur les émotions ressenties

Mettre des mots sur les émotions ressenties permet de se reconnecter à sa terreur, à sa détresse, à son impuissance, à sa honte pour faire émerger à la conscience la réalité des faits pour les surmonter et rétablir la vérité : le seul responsable d’une agression est l’agresseur, lui et seulement lui.

Ce douloureux retour sur des faits traumatiques, parfois enfuis au plus profond de la conscience permet de cicatriser la trace mnésique qu’ils ont laissé dans le système neuronal. Il est un passage dont on ne peut pas faire l’économie pour se donner à soi-même la rédemption tant attendue et sortir fort et triomphant de ce combat pour la vie.

Un suivi thérapeutique permet de se libérer du joug du passé

Un suivi thérapeutique permet de se libérer du joug du passé pour aller conquérir sa juste place dans le monde du travail. Outre les psychothérapies classiques, différentes approches thérapeutiques sont efficaces : l’EMDR (Eye Movement Desensitization and Reprocessing), l’hypnose, l’EFT (Emotional Freedom Technique) sont très intéressantes. Les essais cliniques de la MDMA -en stade 3 des essais cliniques- donnent des résultats très prometteurs. Le changement de posture qui se met en place dans la vie professionnelle est aussi subtil que son impact est puissant. Il permet, non seulement de (re)-nouer avec l’épanouissement au travail, mais de goûter à toutes les couleurs du bonheur.

Rapport de l’OMS publié en 2014 

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