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Agressions sexuelles sur les campus : il est temps de passer à l’action

agressions sexuelles sur les campus

Rien ne me laissait penser que le sujet des agressions sexuelles sur les campus s’inviterait dans mon travail. Juriste et psychologue, ancienne « chasseuse de tête », je me suis spécialisée en 2002 dans la santé et le bien-être en entreprise.

Pourtant récemment, l’Insead (Business School Internationale) m’a demandé de concevoir pour ses campus de Fontainebleau et Singapour une formation sur la prévention du harcèlement et des agressions sexuelles. Avec Sophie Marinier, avocate au sein du cabinet LPA/CGR et spécialiste de ces sujets, nous avons effectué des recherches approfondies, notamment sur les violences sexuelles commises sur les campus.

J’ai pris connaissance d’études dont je n’avais jamais entendu parler et dont les résultats m’ont stupéfiée. En réalité, nous savons déjà beaucoup de choses sur les agressions sexuelles. N’est-il pas temps d’utiliser ces savoirs ?

Agressions sexuelles : ce que nous apprennent les recherches menées sur les campus

Dans mon métier, j’accompagne individuellement des personnes en transition professionnelle. Si je prends la plume aujourd’hui, c’est que j’ai été abasourdie par le nombre de personnes qui, au détour d’une séance, évoquaient un abus sexuel. Soit que cela les concerne directement, soit que cela existe en filigrane dans l’histoire de leur famille.

Il y a eu ce premier contact avec le sujet des violences sexuelles. Puis cette mission pour l’Insead, où j’ai plongé au coeur de ces problématiques. Nos travaux de recherche menés sur l’enseignement supérieur contredisent de nombreuses croyances concernant les agressions sexuelles en général, et ceux/celles qui les commettent. Voici 10 points essentiels de ces travaux.

1. L’agression sexuelle n’est pas une pulsion mal canalisée

On considère souvent l’agression sexuelle comme la résultante d’une frustration sexuelle, ou d’une pulsion sexuelle mal canalisée. Ce n’est pas le cas : il s’agit d’une pulsion de domination, de contrôle ou de destruction.

2. Les agresseurs sont des personnes familières

En règle générale, les agressions sexuelles :

  • Sont commises par des personnes qui connaissent leurs cibles.
  • Ne font jamais l’objet d’une plainte.

Dans leur immense majorité, les victimes ne dénoncent pas leurs agresseurs. Ceux-ci ne sont donc presque jamais inquiétés.

violences sexuelles dans l'enseignement supérieur

3. Les agressions sexuelles sont préméditées

Sur les campus, 6% des hommes commettent 90 % des agressions sexuelles. Il s’agit de prédateurs qui ciblent des personnes qu’ils connaissent. Leurs agressions sont préparées. Ils utilisent des stratégies sophistiquées pour se rapprocher de leur victime-cible et l’isoler.

Le « bon garçon qui dérape »en commettant une agression sexuelle dans un climat de confusion alcoolisée est un mythe. Cette théorie est très écornée par les recherches menées sur les campus.

4. Le phénomène des violences sexuelles est sous-estimé

Ces agresseurs ne se considèrent pas comme des violeurs, c’est pourquoi nous avons pu mener des recherches sur cette population. Quand on leur demande, au détour d’un questionnaire généraliste, s‘ils ont déjà eu des rapports sexuels non consentis, les agresseurs répondent par l’affirmative. Mais si on leur demande s’ils ont commis des viols, alors ils répondent par la négative.

Ces violeurs sont comme le grand public. Ils considèrent qu’un violeur attaque des inconnues et les menacent d’une arme ou usent de violence physique pour commettre leur crime. Ou qu’un viol est commis dans une rue sombre, un parking, forcément tard le soir.

Par ailleurs, le grand public estime que le mal est moins grand quand le viol est commis par une connaissance. Il suppose alors qu’il y a co-responsabilité. Ce qui est totalement en contradiction avec les résultats des recherches sur le sujet.

5. Les 2/3 des violeurs sont multirécidivistes

Des recherches menées sur des campus Américains et auprès de l’US Navy ont établi qu’entre 63 et 71% des violeurs sont multirécidivistes. Ceux-ci commettent en moyenne 6 viols. Et ils ont souvent commencé à commettre leurs forfaits quand ils étaient au lycée.

6. L’alcool et la drogue utilisés comme arme

Ou bien la cible est déjà sous l’effet de l’alcool/des stupéfiants, ou bien le prédateur invite sa proie à boire ou à utiliser des stupéfiants. L’utilisation de l’alcool/de la drogue comme arme a plusieurs avantages. La cible a moins de ressources pour résister, et la violence physique est peu ou pas utilisée. De ce fait, il n’y a pas de traces de violence si la cible veut porter plainte.

C’est donc la violence psychologique qui prend le pas, par le biais de la manipulation ou du discrédit. En effet, qui va croire le récit d’une personne qui dit subir un viol perpétré par quelqu’un qu’elle connait bien, alors qu’elle est en état d’ébriété, et qu’elle n’a pas de traces de violence ? Ce type de viol représente pourtant 80 % des viols commis sur les campus.

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7. Les fausses plaintes sont rares

Six études, menées en 1992, 2005, 2006, 2008, 2010 et 2014 ont permis d’établir que, lorsqu’une plainte pour agression sexuelle est déposée, les faits sont avérés dans 92 à 98% des cas. Le pourcentage de « fausses plaintes » est le même que celui pour tout autre délit/crime.

8. L’apparence physique n’a pas d’influence

Tout type de femme peut être agressée : l’apparence physique n’a pas d’impact. La façon dont les cibles s’habillent ou se comportent n’est pas la cause de l’agression. Mais elle peut être la cause pour laquelle la personne est sélectionnée comme cible.

9. Les agresseurs cumulent parfois les cibles

Plus préoccupant : il était communément admis qu’il y a 3 types d’agresseurs sexuels, « répertoriés » en fonction de leurs cibles : les violeurs d’adultes, les pédophiles et les personnes qui commettent des incestes.

Les recherches menées sur les campus font émerger les corrélations. Parmi les prédateurs qui commettent plusieurs agressions sexuelles sur des personnes qu’ils connaissent :

  • 17% ont également abusés sexuellement d’enfants,
  • 38% sont auteurs de violences domestiques,
  • 11% ont exercé des violences physiques sur des enfants
  • 14% ont commis d’autres délits sexuels.

10. Le tabou des agressions sexuelles perpétrées sur des hommes

Il reste un angle mort dans les recherches : les agressions sexuelles perpétrées sur les hommes, par des femmes ou par des hommes. En effet, si les cibles féminines gardent le silence sur les agressions dont elles sont l’objet, les hommes se taisent encore davantage.

Il est dès lors difficile de mener des recherches sur ce sujet. Pourtant, si environ une femme sur 5 est victime d’agression sexuelle au cours de sa vie (une sur 10 déclarant l’être à 20 ans), on estime qu’un homme sur 10 l’est aussi.

Agressions sexuelles : après le constat, place à l’action ?

Après le temps du constat, vient celui de l’action. Nous disposons depuis plusieurs années de statistiques et de recherches sur les agressions sexuelles, qui font état de l’ampleur du problème. Il faut maintenant agir.

Il serait pertinent de créer un laboratoire de recherche de solutions. En utilisant des méthodes innovantes, et en créant une équipe pluridisciplinaire, intégrant des acteurs de terrain, des chercheurs, des soignants et des victimes, nous pourrons véritablement faire bouger les lignes. Il développerait des approches pour que les prédateurs sortent de l’impunité, et soient mis hors d’état de nuire.

Le second levier d’action est la culture. Il n’est pas question de l’aseptiser en promouvant le puritanisme. Mais il faut responsabiliser les témoins : les acteurs passifs qui savent et ne disent rien. Il en va de même pour les phénomènes de harcèlement.

Le combat contre les agressions sexuelles n’est pas une question féministe, mais un enjeu de justice. Il concerne les femmes et les hommes. Il s’agit de permettre à la société de fonctionner en utilisant sa pulsion de vie dans son intégrité.

Allons de l’avant avec courage et pragmatisme. #MeToo : Step 2 !

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