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Le lourd silence des hommes, victimes d’agression sexuelle

Alors qu’ils représentent au moins un quart des cibles d’abus sexuels, les hommes restent emmurés dans le silence.

12% des agresseurs sexuels sont des femmes.

Je suis juriste et psychologue.

Depuis 2002, je développe la santé et le bien-être en entreprise. Au vu des sujets que je traite, rien ne me laissait penser que la violence sexuelle serait un sujet qui s’inviterait dans mon travail. Pourtant c’est le cas.

J’ai été abasourdie par le nombre de femmes qui ont évoqué un abus sexuel au cours de séances d’accompagnement individuel. Ce constat m’a incité à me plonger dans la littérature scientifique sur l’agression sexuelle et une question s’est imposée à moi : où sont les hommes qui ont subi des agressions sexuelles ?

 

Le nombre de garçons victimes d’abus sexuels sous-évalué

Il existe de multiples données statistiques sur les agressions sexuelles. Elles sont essentiellement fondées sur deux sources : ce que rapportent les agressé.e.s (notamment par le biais de sondages), et ce que rapportent les agresseur.e.s. La première source est de très loin la plus utilisée et la plus médiatisée. Les données qui émanent des agresseurs peuvent pourtant laisser penser que le nombre de garçons, victimes d’agression sexuelle, est largement sous-évalué. En effet, selon les sondages, un garçon sur 14 est victime d’agression sexuelle en France.(2). Les agressions commencent dans la très grande majorité des cas quand les garçons sont mineurs. Plus les agresseurs sont des proches (membres de la famille) plus la tendance à occulter les faits de la mémoire est puissant (phénomène d’amnésie traumatique).

La seconde source de données émane des agresseurs. Les données fiables sont beaucoup plus difficiles à obtenir. La récente médiatisation de l’abus sexuel rend toute étude encore plus difficile. Les agresseur.e.s emprisonné.e.s n’ont que des désavantages à donner le nombre de leurs victimes car ils/eles pourraient être poursuivi.e.s pour des agressions supplémentaires.

Une étude réalisée aux USA (3) donne pourtant des données tangibles, sur l’ampleur du problème: 561 sujets masculins ayant des tendances paraphiliques (qui inclut pédophilie,voyeurisme, exhibitionnisme, ’frottage’, fétichisme,…) mais non incarcérés(4) ont été interrogés sous le sceau de la confidentialité (ils étaient identifiés par des numéros, leur dossier était gardé en dehors des USA pour échapper à toute saisie de la justice). Le sujet annoncé de l’étude était de les aider à comprendre leur comportement pour pouvoir le contrôler. L’étude tentait en fait à cerner l’épidémiologie et définir les modèles de comportements paraphiliques.

Cette étude a permis d’établir que les pédophiles qui agressaient des filles avaient en moyenne de 20 (19,8) victimes ; ceux qui agressaient des garçons avaient une moyenne de 150 (150,2). L’âge moyen des victimes est de 11 ans au début des faits. Il est à noter que la très grande majorité des agresseurs avaient une situation sociale stable.

 

Un nombre de femmes auteurs d’abus sexuel non négligeable

En France, les statistiques établies sur base des déclarations des agressés établissent que 8% des agresseurs sont des femmes.Une méta- analyse réalisée aux USA établit que 12% des délinquants sexuels seraient des femmes (1). Le récent documentaire réalisé sur Whitney Houston a mis en lumière la pédophilie commise par des femmes sur des filles (Whitney Houston aurait été abusée dans son enfance par sa tante). Ce type d’agression semble être encore très peu rapporté.

 

La pédophilie dans l’Eglise : exception ou représentation du réel

On peut également remarquer que dans toutes les enquêtes qui émergent, concernant la pédophilie dans l’Eglise, les victimes sont en grande majorité des garçons : 70% des victimes en Allemagne, 80% aux USA, la très grande majorité en Australie. Les prédateurs étaient des religieuses dans 10% des cas (en Allemagne) et 5% (en Australie).

Il est généralement considéré que l’Eglise est un environnement où la criminalité sexuelle est beaucoup plus élevée que dans le reste de la population. On peut se demander si, au contraire, l’Eglise n’est pas l’environnement homogène dans lequel un mouvement de libération de la parole a lieu et que le nombre d’agressions qui émergent n’est pas représentatif de la réalité en dehors de l’Eglise. La littérature scientifique n’a en effet pas démontré de lien entre célibat et pédophilie.

Le suicide : seconde cause de mortalité des garçons de 15 à 24 ans

On ne peut par ailleurs que constater que le suicide est la seconde cause de mortalité chez les hommes de 15 à 24 ans, sans être en mesure de tirer aucune conclusion de ces faits isolés. On sait cependant qu’au moins un tiers des garçons sexuellement agressés ont, au moins à un moment, des idées suicidaires.

On peut dès lors se demander où est la vérité sur ces données : faut-il attribuer plus de crédit aux données auto-rapportées par les agressé.e.s ou par les agresseurs ?

 

La prévalence de la pédophilie est encore inconnue

J’ai cherché une réponse dans les traités d’agression sexuelle et voici ce que j’ai trouvé : ‘la prévalence réelle de la pédophilie au sein de la population générale est inconnue. ‘…On a généralement estimé que la limite supérieure de la prévalence de la pédophilie oscillait entre 3 et 5% de la population masculine’. (5) Or, le chiffre qui revient de manière convergente des commissions qui enquêtent sur la pédophilie dans l’église est de 6%.

Où est la vérité ? Seule la parole des hommes pourra y apporter une réponse en sortant de la solitude de leur secret.

En parler ? Laissez un commentaire ou prenez contact avec isabelle@isabellehenkens.com

Bibliographie :

1 CORTONI,F., BABCHISHIN,K.M.C (2016) the proportion of sexual offenders who are female is higher than thought : A meta analysis. Criminal Justice and Behavior.doi :10.1177/0093854816658923.

2 Institut Harris Interactive pour l’association ‘l’enfant bleu’ 26 novembre 2017

3 ABEL.G (1987), Self reported Sex Crimes of nonincarcerated paraphiliacs, Journal of interpersonal violence, Vol 2, N°1, March 1987 3-25

4 Environ 1/3 des sujets a été recrutés via des psychologues/psychiatres, 1/3 via des avocats et 1/3 via d’autres moyens( annonce dans le journal)

5 CORTONI, F., PHAM, T., ‘Traité de l’agression sexuelle’, Mardaga 2017, p55-58

3 commentaires sur “Le lourd silence des hommes, victimes d’agression sexuelle”

  1. Article tres interessant. Je suis une victim d’abus des pretres etant un etudiant dans une Ecole catholique Belge. Maintenant depuis 30 ans je vis aux USA. Je suis un criminlogue retire mais continue a travailler au sujet que vous traitez. Vos chiffres sont exactes pour la majorite non compte tenu des mensonges de l’Eglise, les destruction de dossiers et autres malversations.

  2. Bonjour,

    Je suis un homme de 53 ans. J’ai été agressé sexuellement par le surveillant d’internat d’une école privée non catholique dans laquelle j’étais scolarisé. Les agressions se sont répétées au printemps 1973. J’étais âgé de 5 ans, scolarisé en cours préparatoire avec un an d’avance du fait d’un haut potentiel intellectuel (diagnostiqué plus tard). Une amnésie post traumatique m’a fait occulter les faits jusqu’en 2001, en thérapie analytique, du fait d’idées suicidaires permanentes depuis l’agression. Malheureusement, cette thérapie ne m’ pas permis de m’en sortir pleinement et ma vie affective et sexuelle est restée très dévalorisée. C’est seulement depuis un an que j’ai tenté une thérapie par EMDR qui a immédiatement porté ses fruits.
    Peut-être que ces informations vous seront utiles. Le fait de vous l’écrire peut-être aussi pour moi. Bien cordialement

  3. Retour de ping : Abus sexuels dans l'Eglise en France: la toute grande majorité des victimes sont des garçons - Isabelle Henkens and co.

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